Une part importante de la colonisation de la Nouvelle-France est fortement liée à la géopolitique des nations iroquoises au XVIIe siècle. Le terme «Iroquois» est indissociable de l’évolution économique, militaire et même sociale des premiers colons français, hollandais ou anglais en terre d’Amérique septentrionale. Mais qui sont ces «Terribles Hyroquois» qui ont terrorisés les Français, au point de fortifier la vallée de la rivière Richelieu par des bastions militaires, devenus aujourd’hui Sorel, Saint-Jean-sur Richelieu et Chambly.

Les origines archéologiques et ethniques de l’Iroquoisie

Arrivés entre 750 et 800 après J-C dans la région sud des Grands Lacs et du Lac Champlain, la population iroquoienne se sont formés en différentes sociétés entre 1000 et 1400 de notre ère. La culture iroquoienne est de type matrilinéaire et son concept social est conçu autour du lignage de la Mère (Viau, Enfants du néant, 1997). Semi-sédentaire, les populations huronnes et iroquoises ont la même structure de société basée sur la Maison-Longue qui autour regroupe plusieurs familles liées par un lignage féminin commun.

Dès le XVe siècle, plusieurs groupes iroquoiens se fédèrent en deux groupes importants, soit la Ligue iroquoise des Cinq-Feux et la Fédération Wendat-Huronne. Les autres nations iroquiennes étaient les Andastes au sud du lac Champlain, les Pétuns, les Neutres et les Ériés (nation du Chat) au sud des lacs Huron et Érié.Parmenter, (The Edge of the woods, 2010).

Le mot Iroquois vient d’une déformation de l’algonquin Hirokoa signifiant «tueurs de gens». En réalité, l’ethnologue Roland Viau identifie l’origine du nom Iroquois à un terme de la langue basque Hilokoa désignant des assassins. Hirokoa deviendra en Français du XVIe siècle le terme Hyrocquois, puis Yroquois, et enfin au XVIIe Iroquois. Dans le même esprit algonquien, Mohawk signifie «mangeurs d’homme».

Les Iroquois se nomment eux-même Haudenosaunee qui signifie «Ceux de la Maison-longue». Le nom Iroquoisie est Hotinnonchiendi qui signifie «La cabane achevé, comme une seule famille». La Ligue des Cinq-Feux a été créée vers 1450, représentant une alliance fédérative politique et militaire d’entraide de cinq nations en guerre l’une contre l’autre. C’est le mythe fondateur des cinq flèches qui ne se brise pas ensemble, contrairement à une seule.

Cette Ligue était composée de la nation du Silex pour les Agniers (Mohawk), de la nation de la Pierre Debout pour Les Onneiout (Oneidas ), de la nation de la Grande Pipe pour les Goyogouins ( Cayugas), de la nation des Montagnards pour les Onontagués (Onondagas) et enfin la nation de la Grande Montagne pour les Tsonnontouans (Senecas).

De la rivière Hudson à la vallée du Richelieu : un axe de communication pour les Iroquois

Avec l’arrivée de Samuel de Champlain entre 1603 et 1608, les Hurons, en fin stratèges commerciaux, vont établir une alliance économique et militaire durable avec les Français, excluant les Iroquois de toute possibilité d’échange depuis la confrontation de 1609 à Ticonderoga, au sud du lac Champlain.

Dans la première moitié du XVIIe siècle, la course au commerce du castor entre Anglais, Français et Hollandais, est parallèle à celle entre les Hurons et la Ligue iroquoise pour le contrôle des réseaux d’échange commerciaux avec les populations algonquiennes à l’ouest et au nord du fleuve Saint-Laurent. Contrainte de ne plus pouvoir remonter le fleuve Saint-Laurent pour leur commerce avec les nations algonquiennes du Nord, la Ligue Iroquoise prend le partie de faire son commerce avec les Hollandais de la Nieuw-Amsterdam (New York) et le poste de traite de Fort Orange sur la rivière Hudson (Albany). Dès 1640, les nations Iroquoises consolident leur partenariat avec les Hollandais , qui face au monopole des Hurons pour les Français, vont armer de mousquets leurs principaux alliés Agniers (Mohawk).

Le Fort Richelieu (Sorel) : une présence française sur la rivière des Iroquois en août 1642

Au XVIIe siècle, «la rivière des Iroquois» est une porte ouverte sur les jeunes colonies françaises de Trois-Rivières et de Québec. Parallèlement le 17 mai 1642, la fondation du nouveau bastion français Ville-Marie, sur l’emplacement d’un ancien site iroquoien «Hochelaga»,consolide la présence française sur «l’îsle dite de Montréal», bouleversant l’équilibre économique et politique de la ligue iroquoise des Cinq-Feux. Plusieurs attaques meurtrières sont destinées à détruire toute implantation française sur les routes commerciales partant du lac Champlain vers le fleuve Saint Laurent.

Face à cette menace, le gouverneur de Montmagny décide la construction du premier bastion à l’embouchure de la rivière que les Abénaquis nomme Masoliantekw, signifiant «eaux où on trouve beaucoup de nourriture», pour contrôler les incursions iroquoises. Les Français rebaptisent la rivière du même nom que le nouveau fort Richelieu en août 1642, en l’honneur du Cardinal Armand du Plessis de Richelieu (1585-1642). Cette démarche militaire française ferme l’accès au fleuve Saint-Laurent et protège les alliés Hurons et Abénaquis, ennemis jurés des Iroquois. En réponse, la Ligue des Cinq-Feux attaque le nouveau fort sans succès, puis développe une nouvelle stratégie de raid meurtrier, causant la terreur chez les premiers colons français et plusieurs nations alliées.

Guerre, commerce et diplomatie iroquoise entre 1642 et 1665

La Ligue des Cinq-Feux connait une période d’expansion militaire et géopolitique entre 1642 et 1653. Alliée commerciale des Hollandais de la Nieuw Belgicum (État de New-York), la fédération iroquoise fait une guerre de raid intense contre les Hurons au sud des Grands Lacs et contre les Neutres sur le lac Ontario. Parallèlement, elle intensifie les escarmouches et les attaques ciblées contre les groupes algonquiens comme les Nippissing et les Outaouais à l’Ouest du Saint-Laurent.

Entre 1647 et 1660 les Iroquois détruisent l’Huronnie et entrent en guerre contre les Abénaquis de l’ouest, les chassant progressivement de la côte-est américaine du Maine, pour consolider leur commerce avec les colons anglais de la Nouvelle-Angleterre. Cette expansion iroquoise pour contrôler le commerce du castor épuise les ressources humaines des Cinq-Feux. Les adoptions forcées de populations soumises ne comblent pas le déficit humain des conflits militaires. Dès 1653, les différentes nations iroquoises, à l’exemple des Agniers, vont chercher à rétablir la parole de la négociation avec les Français, après une guerre d’usure contre la présence française aux limites de l’Iroquoisie, notamment contre les Jésuites dans l’espace du commerce des Grands Lacs.

Les Français profitent de ce répit pour consolider la colonie à Québec, Trois-Rivières et surtout Montréal. Dans le même temps, les autorités coloniales ne réalisent pas la stratégie commerciale iroquoise, provoquant une nouvelle carte géopolitique du commerce du castor en direction de la Nouvelle-Angleterre. Créée depuis 1627, la colonie de Nouvelle-France appartient à des gestionnaires privés, la Compagnie des Cent-Associés. Face au retard de colonisation agraire du territoire, cette dernière signe une résolution donnant les pleins pouvoirs militaire, économique et politique à l’État royal le 24 février 1663.

La ligue iroquoise ayant repris ses habituels harcèlements contre la présence française autour de Montréal dès 1660, les objectifs français face à la présence iroquoise provoque l’arrivée au Canada des premières troupes engagés par le pouvoir royal, Le régiment de Carignan-Salières en 1665. L’incursion militaire française contre l’Iroquoisie en hiver 1666, va bouleverser l’espace vital iroquois. Parallèlement, la nouvelle stratégie française de construire méthodiquement des bastions tout au long de la rivière Richelieu jusqu’à l’embouchure du lac Champlain, à l’exemple des forts Richelieu-Sorel, Sainte-Thérèse et Saint-Jean va contraindre les nations iroquoises à de nouveau ouvrir la parole de la diplomatie avec les nouvelles autorités royales françaises en Nouvelle-France.

Avec la signature d’une paix franco-iroquoise en 1667, la Ligue des Cinq-Feux prend conscience de la colonisation française qui s’implantent le long de leur ancienne rivière. En contre partie, les Iroquois vont chercher à consolider ses positions commerciales et diplomatiques avec les Anglais, après l’assimilation des comptoirs Hollandais à la Nouvelle-Angleterre dès 1664. Le conflit Franco-iroquois va reprendre vers 1684, provoquant les nouvelles expéditions militaires du marquis de Denonville contre l’Iroquoisie en 1687 et une la déportation aux galères du Roi-Soleil de 31 chefs iroquois entre 1687 et 1689. L’un d’eux, le chef Sénécas Auérouaré témoigne de cette douloureuse expérience au Gouverneur Frontenac «tout ce que leur esclavage avoit eu de fascheux et paroissoit dans la soumission qu’un fils doit avoir pour son père(…) car vos fouets furent fort piquants pour vos enfans».

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Bibliographie historique sur les iroquois

Viau, Rolande, Amerindia, Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2015.

Bellico, Russel, Empires in the mountains French and indians wars campaign and ford in the Lake Champlain, Purple Mountain press, New-York, 2010.

Parmenter,Jon, The Edge of The Woods: Iroquoia 1534-1701, Michigan University Press, Detroit, 2010

Fortin, Sylvain, Stratéges, diplomates et espions : la politique étrangère franco-indienne, Cahier du Septentrion, Sillery, 2002.

Desrosiers, Léo-Paul, Iroquoisie, 4 tomes, Éditions du Septentrion, 1999

Viau, Roland, Enfants du néant et mangeurs d’âmes, Boréal, Montréal, 1997.

Snow, R., Dean, The Iroquois, Blackwell publishing, Malden, 1996.