L’affaire Fernande Gaillard : une bavure résistante occultée…

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En 1944, la Vienne n’échappe pas au délire de régler des comptes contre les filles «qui fricotent avec le boche» pour sauver l’honneur de la patrie. Le contexte ne laissait pas de place ni au pardon ni surtout à une réflexion pour savoir «qui était vraiment coupable de quoi». Aujourd’hui, des archives confirment des exécutions sommaires en représailles sur «le collabo» et «la putain».

Dans le cadre de mes recherches pour retrouver des informations sur les auxiliaires féminines allemandes disparues dans la Vienne, j’ai découvert dans des archives judiciaires de 1958 à 1962, plusieurs cas de poitevines exécutées pour «des raisons diverses» par des maquis locaux à Bonneuil-Matours, Savigny-Levescault, Bourg-Archambault, Millac et Poitiers. 

Sujet encore tabou et occulté sur la Libération poitevine, l’auteur britannique Paul McCue décrit des exécutions dans ses ouvrages concernant l’opération SAS « Bulbasket » et le Major du SOE Samuel Maingard, qui ont une part très active dans la Libération de la Vienne. Les témoignages recueillis par Paul auprès des anciens paras du 1er SAS britannique, ne donnaient aucune information sur l’identité de la jeune tondue «universitaire de Poitiers de trente ans parlant parfaitement anglais et discutant avec les paras plusieurs jours»

Capturée proche d’Asnières sur Blourde, elle a été Jugée par un tribunal résistant, puis exécutée dans un champ adjacent. Le SAS, Sam Smith, a écrit en 1989 « Elle nous parlaient comme si rien n’allait lui arriver, nous donnant rendez-vous à Poitiers après la guerre. J’ai assisté à son exécution et celle du belge mais j’ai toujours regretté de ne pas être intervenu».

Si aucune mention apparaît dans l’historiographie poitevine récente, plusieurs exécutions sommaires sont pourtant racontées par un résistant poitevin, Max Survylle, dans son livre «Avec ceux du Maquis» édité à Poitiers en 1944. Abusant d’un style romanesque, Survylle donne néanmoins des indications importantes sur la fin de prisonniers allemands et de cette jeune femme qui nomme «l’espionne». Décrivant son interrogatoire, on apprend que «La prétentue Maddy, n’était qu’une certaine Saillard Marie, prostituée de profession et espionne d’occasion» fusillée avec un déserteur FFI belge par cinq maquisards en juillet 1944. 

De son vrai nom, Fernande Gaillard, la jeune femme de Poitiers d’origine bordelaise a été capturée et fusillée sur ordre du colonel Blondel, alias «Michel». Cette exécution a été l’objet d’une enquête judiciaire en 1962, pour retrouver son corps et son honneur, car elle était auxiliaire de police à Poitiers et travaillait pour la Résistance. Disparue avec son responsable résistant, inspecteur Antoine Cantin des Renseignements Généraux de Poitiers (lui aussi fusillé), l’enquête dévoile que Fernande Gaillard avait été sommairement jugée pour espionnage «tombée victime de l’incurie du colonel Blondel. Elle était mon agent au sein du groupe  »Espérance », groupement qui est une partie du groupe de l’État-major FFI de la Vienne»

En 1962, un haut fonctionnaire de police et ancien déporté de la résistance, Jean Guibert demandait officiellement pour Mlle Gaillard la mention «mort pour la France», au même titre que le policier fusillé Cantin, car «ce dernier certifie que Mlle Gaillard n’aurait pas eu d’activités anti-nationales et aurait au contraire , travaillé pour le compte de la Résistance».Interrogé par la gendarmerie bordelaise en 1962, Blondel confirmait l’exécution de la jeune femme, en s’excusant du fait, mais en lui refusant aussi le droit à la mention «mort pour la France» qui confirmait la bavure…